04 Juin Meredith Little en Suisse Romande
MEREDITH LITTLE
La mort comme ultime Rite de Passage
(English version below)
En Mai nous avons eu l’immense plaisir d’accueillir Meredith Little en Suisse pour une semaine de séminaire sur la mort comme rite de passage. L’occasion aussi pour nous de célébrer officiellement, grâce à la visite de cette invitée de marque, la naissance de notre association suisse romande Rite de Passage.
Lien de Coster (Leaves of Lien) nous a fait le plaisir de nous rejoindre pour ce séminaire et a réalisé cette magnifique interview.
Entourés par les Alpes et avec le son clair et régulier d’un ruisseau de montagne en arrière-plan, nous sommes ce début d’après-midi en compagnie de Meredith Little, la “grande dame” des rites de passage contemporains et co-fondatrice de The School of Lost Borders, basée en Californie. Elle est en Suisse pour enseigner “la pratique de la vie et de la mort”, une semaine axée sur la mort et le décès, et pour soutenir la toute nouvelle association suisse Rite de Passage, co-fondée par Carine Roth. Les mots de Meredith, comme sa personne, sont empreints de simplicité, de sagesse et d’humilité.
Nous venons de passer une semaine à nous intéresser aux pratiques liées à la mort et au décès. Que perdons-nous en tant que culture lorsque la mort devient un sujet tabou et que nous perdons notre relation avec elle?
Je pense que nous nous perdons les uns les autres. Nous perdons une connexion essentielle. Nous perdons les moyens de nous soutenir les uns les autres et d’être ensemble par le biais de conversations, en apprenant à nous soutenir les uns les autres dans ces derniers moments, mois ou années, où l’on s’achemine vers la mort. Pourtant, la mort et le décès sont des sujets passionnants. Il y a tant d’histoires que les gens veulent raconter et qui sont vraiment des “histoires d’apprentissage”. Lorsque le message est que la mort est morbide, il n’est plus acceptable d’en parler. Les choses se perdent et se tassent, ce qui engendre une grande peur de la mort et de l’agonie. Il est naturel d’avoir peur de la mort et de mourir, mais lorsque nous pouvons avoir cette conversation, c’est très riche et cela fait aussi une différence dans la façon dont nous vivons. Reconnaître que nous allons mourir, et que nous avons la possibilité de prendre certaines dispositions et notre responsabilité face à cette vérité, fait également une grande différence dans les choix que nous faisons dans notre vie et dans notre manière d’être au monde.
Je me suis posé des questions à ce sujet tout au long de la semaine, en écoutant les histoires des gens. Le programme s’intitule “la pratique de la vie et de la mort” : diriez-vous que nous avons davantage peur de vivre ou de mourir?
Certaines personnes reconnaissent clairement qu’elles ont plus peur de dire pleinement oui à leur vie que de mourir. Je sais que le fait de parler de la mort et du décès, et tout l’enseignement qui en découle, améliore notre vie. Le simple fait de reconnaître que nous ne savons pas quand nous allons mourir et que nous ne contrôlons pas ce qui va se passer fait une différence dans le type de choix que nous faisons. Nous nous disons : “Faisons comme si cela n’allait pas arriver, le système médical nous maintiendra en vie très longtemps. Je n’ai pas besoin d’y penser maintenant”. Cette manière de penser peut maintenir les gens dans une fausse sécurité et les limiter plutôt que de les encourager à prendre des risques et à évoluer au fur et à mesure que la vie nous fait grandir.
PREMIERES RENCONTRES
Vous avez consacré votre vie au travail sur les rites de passage et avez eu l’occasion d’avoir ces conversations pendant des décennies avec de nombreuses personnes de différentes générations. Avez-vous observé des changements dans notre rapport à la mort au cours de cette période?
Dans l’ensemble, il y a moins de tabou à parler de la mort et il y a plus de livres, d’expériences, d’ateliers et de séminaires qu’auparavant, mais je ne vois pas de diminution de la peur inhérente des gens face à la mort et au vieillissement. Je pense que le vieillissement, avec toute la technologie moderne et les médicaments, est vraiment l’objet de la peur, plutôt que la mort elle-même.
Dans les cultures anciennes, les gens mouraient chez eux. Ils mouraient de choses qui, aujourd’hui, se soignent très facilement, les familles étaient présentes et tout le monde était là pour s’occuper de la personne. La famille était présente et tout le monde était là pour s’occuper de la personne. Il y avait plus de gentillesse. L’idée d’être transporté dans un hôpital stérile et impersonnel, loin de la famille, suscite la peur. Il y a aussi la peur de la démence et du cancer, qui sont plus fréquents parce que nous vivons plus longtemps. Je pense donc que l’on en parle davantage, mais je ne pense pas que l’on craigne moins le processus de la mort.
J’aime beaucoup la notion qui, au cours de la semaine, est ressortie de nombreux récits d’enfance, à savoir que les enfants ont une relation naturelle, peut-être même intacte, avec la mort. Que pouvons-nous faire pour aider les enfants à entretenir une bonne relation avec la mort plutôt que de la voir comme un obstacle à la vie?
En étant nous-mêmes beaucoup plus à l’aise avec la mort. En ne la considérant pas tant comme un échec, et en nous sentant capables et à l’aise pour répondre aux questions que les enfants commencent à poser – ils posent naturellement des questions – sans avoir l’impression de devoir leur donner toute une thèse sur ce qui se passe. Au fur et à mesure qu’ils grandissent, les enfants commencent à poser des questions plus nombreuses et différentes sur la mort et nous devons être en mesure de répondre à ces questions. Lorsque l’enfant est confronté à la mort d’un animal de compagnie ou d’un membre de sa famille, il ne faut pas craindre que cela soit trop douloureux pour lui. Il faut l’accueillir et le laisser participer au processus, l’aider à explorer ses propres sentiments par rapport à ce qui est arrivé à cette personne, l’aider à développer son propre sens de ce qui arrive aux animaux lorsqu’ils meurent. Il est certainement utile de les faire sortir dans la nature et de leur faire voir la vie et la mort qui s’y déroulent en permanence.
Vous avez mentionné le fait que les adolescents et les jeunes se sentent à l’aise pour parler de la mort. Et je vous ai vu vous illuminer à plusieurs reprises cette semaine lorsque vous parliez de nos jeunes. Il semble y avoir une saine férocité à vouloir soutenir les jeunes qui grandissent dans un monde où il y a beaucoup de crises, des espèces qui meurent, la guerre… tout cela. Comment pouvons-nous les aider en tant qu’adultes et aînés?
Je pense que ce sont eux nos guides. Nous nous devons de répondre présents à leur côté. Nous devons les interroger, ouvrir ces conversations, et surtout les écouter. Nous devons respecter leurs pensées et leurs opinions. S’il y a des traumatismes et des tragédies autour d’eux, cela devient dangereux si ils se sentent impuissants. Nous pouvons les aider à trouver des moyens d’action, à trouver quelques chose sur lequel ils ont prise, qu’ils puissent se sentir responsables de quelque chose, cela fait une différence. S’ils trouvent un moyen de s’investir et de se responsabiliser, et qu’ils sont écoutés, ils ne se sentent plus aussi impuissants et sont moins traumatisés. Ils grandissent alors avec leur propre système de valeurs, qui évolue en fonction de ce qui se passe autour d’eux.
PÉRIODES SOMBRES
Nous avons déjà parlé de la place de la mort dans notre culture. J’apprécie que vous ayez mentionné le fait que nous considérons la maladie comme notre faute et la mort comme un échec. Comment pouvons-nous aborder ce récit différemment? Il s’agit d’un récit tellement toxique qui ne nous aide pas à nous diriger vers une bonne mort.
Je pense qu’à l’origine de ce récit se trouve la façon dont nous nous considérons comme séparés de la nature. D’une certaine manière, nous sommes meilleurs que tout ce qui meurt. Je suis surpris par le nombre de personnes qui pensent que nous pourrions facilement vivre jusqu’à 170 ans. Que…cela puisse être un objectif ! Ce serait clairement égoïste pour les jeunes. Lorsque votre heure est venue, vous trouvez une façon élégante de dire au revoir et vous faites de la place à la jeune génération qui arrive. Vous ne prenez pas toute la nourriture et l’espace dont les autres ont besoin. Il y a une telle peur autour de cela aujourd’hui. Les traditions religieuses et les institutions médicales nous disent que nous faisons quelque chose de mal lorsque nous mourons et même lorsque nous tombons malades. Si vous avez un rhume, c’est que vous faites quelque chose de mal, et non que votre corps essaie naturellement de trouver un équilibre. C’est une autre façon de nous séparer de la nature.
Vous avez dit plusieurs fois “je ne vais pas avoir une mort propre”. Je l’ai noté parce que cela m’a surpris. Vous qui avez passé une grande partie de votre vie dans ces pratiques, à vous préparer à la mort, on pourrait pensez que si vous ne pouvez pas le faire, qui le pourra?
Je pense que c’est pour cela que je le dis. Nous sommes tous humains. Je ne sais pas à quoi ressemblera ma mort. Je sais que je n’ai certainement pas été parfaite dans ma vie, même si j’essaie de bien communiquer et d’assumer mes responsabilités dans mes relations avec les autres et avec la vie. Vous savez, je pense que je dis cela pour nous rappeler qu’il ne s’agit pas d’être parfait. Ce n’est tout simplement pas le cas. Il y a tellement de tension autour du besoin d’être parfait, de mourir d’une bonne mort en ayant fait tout notre travail. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise mort, il s’agit simplement d’apprendre à continuer à grandir dans notre humanité. J’imagine que je continuerai à apprendre jusqu’à ma mort et qu’il y aura des choses inachevées derrière moi. Je pense que c’est inévitable.
Alors, quelle est la chose que nous devrions retenir et que nous pourrions intégrer dans notre vie quotidienne comme une pratique de la vie et de la mort? Comment pouvons-nous commencer à nous engager dans cette voie?
C’est différent pour chacun-x-e. En ayant des conversations, en n’ayant pas peur, en ne considérant pas le fait de parler de la mort comme morbide mais comme une conversation fascinante, en passant du temps en nature. Les cafés de la mort aussi sont formidables. Je pense qu’il s’agit de reconnaître à quel point nous nous sommes limités en faisant de la mort -et du fait d’en parler- un tabou. Cela nous a limité non seulement dans la vitalité du rapport à notre propre mort physique, mais aussi dans notre capacité à faire le deuil, à laisser mourir ce qui doit mourir pour passer à d’autres phases de notre vie. Si nous pouvions en être conscients, le reconnaître et ne pas considérer le fait de traverser une période sombre, de peur, de dépression ou d’obscurité comme quelque chose de mal, mais plutôt comme quelque chose qui nous fait avancer vers une nouvelle croissance, comme une étape nécessaire pour aller de l’avant, cela changerait beaucoup de choses dans notre vie.
Plus d’informations:
ENGLISH VERSION:
Surrounded by the Alps and with the steady clear sound of a mountain stream in the background, I sit with Meredith Little, the ‘grande dame’ of contemporary rites of passage and co-founder of the Californian-based School of Lost Borders. Little is in Switzerland to teach ‘the practice of living and dying’, a week focussing on death and dying, and to support the brand new Swiss rites of passage association founded by Carine Roth. Little’s words, as her person, are filled with simplicity, wisdom and humility.
We’ve just spent a week engaging with practices in death and dying. What do we lose as a culture when death and dying becomes a taboo subject and we lose our relationship to it?
I think we lose each other. We lose a really important connection that we have. We lose the ways that we can support each other and be with each other through conversations, through learning how to support each other in those last moments, months or years, of moving toward death. And yet, death and dying is an exciting topic. There are so many stories that people want to tell that really are ‘learning stories’. When the message is that death is morbid, it becomes not okay to talk about it. It gets lost and stuffed down, and this creates a lot of fear around death and dying. It’s natural to have some fear around death and dying but when we can have that conversation, it is very rich and it also makes a difference in how we live. Recognizing that we are going to die and that we have some choice in the context of that also makes a big difference to the choices that we make in our life and about living.
I’ve been wondering about that throughout the week, listening to peoples’ stories. The program is called ‘the practice of living and dying’: would you say we are more afraid of living or dying?
Some people, like we had in this group, clearly recognize that they are more afraid of saying a full yes to their life than to dying. I know that talking about death and dying, and all the teaching that comes with it enhances our life. Even in just recognizing that we don’t know when we are going to die and that we are not in control of what happens makes a difference to the kind of life choices that we make. We think, ‘let’s just pretend it’s not going to happen, the medical system will keep us alive a really long time. I don’t have to think about it now’. This can keep people stuck in safety rather than taking rich risks and changing as we grow.
EARLY ENCOUNTERS
You’ve dedicated your life to rites of passage work and have had the opportunity to have these conversations over decades with lots of people from different generations. Have you observed any shifts in our relationship with death over that time span?
Overall, there is less taboo on talking about death and there are more books, experiences, workshops and seminars than before, but I don’t see there being a lessening in people’s inherent fear of death and aging. I think aging, with all the modern technology and medications, is really where the focus of the fear tends to be, rather than on death itself.
In early cultures, people died in their homes. They died of things that today are fixed really easily, families were around, and everybody was there to take care of the person. There was more of a gentle kindness about it. There is fear in the thought of being taken to a hospital where it is sterile and impersonal, and far away from family. There is the fear of dementia and cancer, which we have more of because we are living longer. So, I think there is more talk about it but I don’t think there is less fear of the dying process.
I really like the notion that, over the week, came out of many stories of childhood of children having a natural, maybe even intact, relationship with death. What can we do to support children to stay in good relationship with death rather than it being in the way of living?
By getting a lot more comfortable with it ourselves. By not seeing it so much as a failure, and by feeling able and comfortable to answer questions when children begin to ask them – they naturally ask questions – without feeling that we have to give them a whole thesis on what happens. As they grow up, children begin to ask more and different questions about death and we need to be able to show up for that. When there is an encounter with the death of a pet or a relative, again, not to fear that this is too painful for the child. Really embrace them and let them be a part of the process, help them explore their own feelings around what happened to that person, help them develop their own sense of what happens to animals when they die. Certainly, it is helpful to have them get out into nature and see the living and dying that’s happening out there all the time.
You mentioned how adolescents and young people feel comfortable talking about it as well. I saw you light up a few times this week when talking about our young people. There seems to be a fierceness for young people trying to grow up in a world where there are a lot of stories around death, crises, species dying and war…all of that. How can we show up for them as adults and elders?
I think they are the guides. We have to show up, as you said. We have to ask and we have to listen to them. We have to respect their thoughts. If there is trauma and tragedy around, it is really dangerous if they feel helpless in relation to that. So, we can help them find ways of helping, find an action so they feel a little bit of something that makes a difference. If they can find something that makes a difference, they don’t feel so helpless and they are less traumatized. They grow with their evolving value system about what’s happening around them.
DARK TIMES
We already talked a bit about the place of death in our culture. I love that you mentioned that we look at disease as our fault and death as a failure. How can we approach that narrative differently again? It seems to be such a toxic narrative that doesn’t support us to move towards a good death.
I think at the root of it is the way that we see ourselves as separate from nature. Somehow, we are better than everything else that dies. I’m surprised by how many people there are that think that we could easily live to be 170 years old. That….that’s a goal! For early people, that would be selfish. When it’s your time, you gracefully find a way of saying goodbye and you make room for the young generation coming in. You don’t take up all the food and space that is needed by everybody else. There’s such fear around that today. We get messages from spiritual traditions and medical institutions about how we’re doing something wrong when we die and even when we get sick. If you get a cold, you’re doing something wrong, rather than it being your body naturally trying to find a balance. It’s another way that we separate ourselves from nature.
You said a few times ‘I’m going to die messy’. I wrote it down because it surprised me. You who have spent so much of your life with these practices, preparing for death, you could say, if you can’t do it, who can?
I think that’s why I say it. We’re all human. I don’t know what my death is going to look like. I know I certainly haven’t been perfect in my life even though I try to communicate clearly and take responsibility for relationships. You know, I think I say it to remind us that it’s not about being perfect. It’s just not. There is so much tension around needing to be perfect, to die a good death by having done all our work. There is no good or bad death, there is just learning how to keep growing into our humanness. I imagine I’ll keep learning until I die and that there will be unfinished stuff behind me. I think it’s inevitable.
So, what is the one thing we should take away that we can integrate into our daily lives as a practice of living and dying? How can we start engaging in this?
It’s different for everyone. By having the conversations, not being afraid, not seeing talking about death as being morbid but as a fascinating conversation, spending time on the land; Death Cafes are great. I think it’s just about recognizing how much we’ve been stunted by making death and talking about it a taboo – not only in our physical living and dying but also in being able to move from doing the work of the dying that needs to be done in order to move into different phases of our life. If we can be aware of that and recognize that and not see going through a dark time and a time of fear or depression or time in the underworld as something that’s wrong but as something that’s moving us toward new growth, it would change a lot of our life.
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